+ Le Loup pour cogiter

09/2006 : Sur le plateau de Millevaches



UNE VACHE DE MOINS


Un gendarme zélé, des victimes de l’insécurité policière qui ne se laissent pas faire, une population villageoise solidaire, et pour finir l’intervention des instances suprêmes... Résultat : retraite en rase campagne des autorités de l’État.

LE 8 JUILLET 2006, la Zone Autonome Permanente inaugure son nouveau local. Une petite sauterie a été organisée dans ce bâtiment de 800 m2 mis à disposition de Matt et de ses nombreux amis, les Zaponais, par le maire de Peyrelevade, en Corrèze, sur le plateau des Millevaches. Depuis quelque temps, ils étaient à la recherche d’un lieu où développer leurs multiples projets alternatifs. À la suite d’un courrier adressé à diverses municipalités du coin, le maire de Peyrelevade accepte, à titre personnel, de leur prêter cette grange abandonnée. Depuis, Matt et ses potes n’ont de cesse de rencontrer les gens du village et d’organiser de multiples activités : le mardi, cantine à « prix libre » - jusqu’à quarante personnes participent régulièrement à ce repas collectif ; le jeudi, projection publique de vidéos ; le dimanche, guinguette pour les plus âgés. Ils ont aussi réinsufflé un peu de vitalité au marché hebdomadaire. Et dans le village, de plus en plus de monde s’intéresse à l’huile végétale recyclée pour faire tourner les voitures.

En cette soirée du 8 juillet, alors que le concert bat son plein, trois fêtardes sortent du bâtiment et s’en vont vider leur vessie à proximité. Le propriétaire du carré de terre ainsi humidifié est un des rares réfractaires à ces nouvelles activités villageoises. Il saute sur l’occasion pour appeler la gendarmerie. Le matin du 11 juillet, Matt reçoit un coup de fil hystérique : « Je suis le chef de la gendarmerie de Sornac. Vous avez intérêt à faire gaffe ! Vous n’êtes pas ici chez vous ! On peut débarquer quand on veut, de jour comme de nuit, et vous foutre dehors ! Vous m’avez compris ? » Sous ce déluge de menaces, Matt s’étonne : « Tout ça pour une histoire de pipi ? » Puis : « Vous êtes combien à la gendarmerie ? » Le chef, pris de court : « Six... » Matt : « Nous, on est plus nombreux. C’est nous qui allons venir. » La voix du chef faiblit. Matt insiste : « Je vais faire du bruit à propos de vos comportements. Je vais faire de vous une star, vous allez voir. » Le gradé tente de reprendre l’initiative. Il veut discuter et décide de venir à la ZAP. À 11 heures, le bricard est là : « Faut être dans les clous ! Si je veux, je peux faire souffler les gens qui partent à pied à la sortie de vos concerts... Il faut monter une association 1901. Je peux vous envoyer devant un juge d’instruction. » Qu’à cela ne tienne, Matt et ses potes rédigent un avis à la population, format A3, papier fluo :

« L’appel du plateau - Rejoignez la résistance. Le maquis est ouvert ! Le grand général en chef de la gendarmerie de Sornac (dont le nom doit être tenu top secret) entame sa croisade contre les libertés individuelles. C’est bien connu : Le citoyen, fondamentalement irresponsable et infantile, se doit d’être ramené à la raison, jusqu’au harcèlement sécuritaire s’il le faut. Alors que tout est paisible dans notre contrée, les contrôles arbitraires se multiplient, donnant lieu à des mesures de contrainte dignes d’une dictature en bonne et due forme. Ainsi, pour un petit pipi champêtre, le haut gradé a honoré la ZAP d’un déplacement en force (deux gendarmes, dont le général, soit un tiers des effectifs). Guignol était au rendez-vous ! Après la semaine de travail, désormais il faudra affronter le bâton du terrible brigadier qui entend bien ne plus tolérer les débordements jugés par trop alcooliques du laboureur en goguette le samedi soir et le dimanche. C’est pourquoi, les activités et autres animations ludiques programmées à la ZAP pour toutes et tous (enfants, jeunes et anciens) se poursuivront envers et contre tout, bravant le mur de la bêtise ignorante. » Le document est placardé sur les cabines téléphoniques et le transformateur. Les commerçants du village l’affichent dans leur vitrine. Il faut dire que dans cette région, la flicaille s’ennuie à mourir et se distrait en montant barrages routiers et autres contrôles. Et ici, c’est une tradition, les habitants du pays n’aiment pas les Bleus. En avril 2004, un canular du bulletin municipal annonçant la création d’une gendarmerie avait soulevé un tollé.

Dans le magasin Leclerc d’Ussel, proche de Peyrelevade, une des affiches provoque un attroupement. Le procureur exige que les commerçants et les services municipaux retirent l’affiche séditieuse. Les Zaponais éditent un flyer dans lequel ils protestent au nom de la liberté d’expression. Et Matt n’en reste pas là. Il annonce à la presse locale qu’il va se rendre à la gendarmerie pour cette « affaire de pipi », qu’il a l’intention de ne pas se laisser faire et de porter plainte contre le chef des gendarmes. Redoutant un assaut des Zaponais, un contingent de Bleus taillés comme des boxeurs occupent le cantonnement. Convoqué à la demande du procureur pour « atteinte à un corps constitué de l’État », Matt arrive en short et en tongs au milieu de ce dispositif. Il veut en profiter pour porter plainte contre le chef. Les képis, eux, voudraient bien se débarrasser de cette affaire qui provoque la risée. La garde à vue est ubuesque. La chiourme est aux petits soins pendant les huit heures que passe Matt à bavarder avec les militaires qui le regardent comme un inquiétant extra terrestre. Car il y a problème : le roi de Corrèze, Chirac, a eu vent de l’affaire par son délégué aux Affaires corréziennes, qui en a touché un mot à la douairière, qui en a parlé à Son Altesse. Calmer le jeu est la consigne. Dans le secret des alcôves étatiques, le sort de l’adjudant-chef est scellé. Il doit faire son paquetage et disparaître du pays. La version officielle prétend qu’il est parti en vacances. En Corse, peut-être.

Gilles Lucas


Article publié dans CQFD n° 37, septembre 2006




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