+ Le Loup pour cogiter

Tant que le soleil brillera...

Proclamation des occupants d’Alcatraz

D’après :

Les Civilisations des Indiens d'Amérique du Nord





Nous, les Américains autochtones, nous exigeons au nom de tous les Indiens et en vertu du droit de découvreur, que nous soit rendue la terre connue sous le nom d’Alcatraz. Nous souhaitons donner à nos relations avec les habitants blancs de ce territoire un tour honnête et équitable et proposons ici le traité suivant :

Nous achetons l’île dite d’Alcatraz pour la somme de 24 dollars, payable en verroterie et en cotonnade rouge, conformément aux termes du marché conclu par l’homme blanc pour l’achat d’une terre similaire, il y a trois cents ans de ça. Nous savons que 24 dollars en bien commerciaux pour ces 16 acres représentent une somme bien plus importante que celle qui a été versée lors de la vente de l’île de Manhattan, cependant, nous avons conscience que le prix du terrain a augmenté au fil des années. Notre offre de $ 1,24 par acre est supérieure aux 47 cents par acre que versent aujourd’hui les Blancs aux Indiens de Californie en échange de leurs terres.

Tant que le soleil se lèvera et que les fleuves se jetteront dans l’océan, nous concéderont aux habitants blancs de l’île une partie de ce territoire pour leur usage personnel, que le gouvernement indien gérera en toute confiance par l’intermédire du Bureau des affaires blanches (BWA). Par ailleurs nous guiderons ces habitants sur la voie du bon art de vivre. Nous leur transmettrons notre religion, notre éducation et notre mode de vie de façon à ce qu’ils atteignent notre niveau de civilisation et ainsi les sortir, eux et tous leurs frères blancs, de leur existence sauvage et malheureuse.

Nous proposons ce traité en toute bonne foi et souhaitons entretenir des relations avec les hommes blancs qui soient toujours fondées sur la justice et l’honneur.

Nous pensons que l’île dite d’Alcatraz se prête beaucoup mieux à ce dessein qu’une réserve indienne, telle qu’elle correspond aux normes de l’homme blanc. Par cela, nous entendons que, par les caractéristques suivantes, cet endroit ressemble à la plupart des réserves indiennes : il est isolé de toute infrastructure moderne et dénué de tout moyen de transport adéquat ; il n’est pas équipé de l’eau courante ; les installations sanitaires sont insuffisantes ; il n’existe aucun droit au forage ou à la prospection, tant pour le pétrole que pour le minerai ; il est dénué de toute industrie et par conséquent le chômage est très élevé ; il n’existe aucune infrastructure médicale ; le sol est rocheux, stérile et ne permet pas de nourrir les bêtes ; il n’existe aucune infrastructure éducative ; les habitants sont traités comme des prisonniers et maintenus dans la dépendance.

Par ailleurs, il serait tout à fait judicieux et hautement symbolique que les bateaux du monde entier, franchissant le Golden Gate, aperçoivent tout d’abord la terre indienne et que leur soit ainsi rappelée la véritable histoire de cette nation. Cette petite île serait alors le symbole du grand territoire qui jadis fut dominé par des Indiens libres et nobles.

Que ferons-nous de cette terre ? Depuis que le San Francisco Indian Center a été détruit par les flammes, les Indiens ne disposent plus de lieu de réunion. C’est pourquoi nous envisageons de créer sur cette île plusieurs institutions indiennes :

1. Un Centre d’études sur les Indiens d’Amérique du Nord transmettra aux jeunes Amérindiens les plus nobles de nos arts et de nos connaissances autochtones et leur enseignera le savoir-faire et les connaissances nécessaires à l’amélioration de la vie matérielle et spirituelle de tous les peuples indiens. Sera attachée à ce centre une université itinérante, dirigée par des Indiens et dont les étudiants apprendront des habitants des réserves les valeurs traditionnelles qui font défaut aux grands établissements éducatifs des Blancs.

2. Un Centre religieux de Spiritualité permettra de pratiquer nos anciennes cérémonies religieuses et notre médecine. Ici seront représentés nos arts et nos jeunes y apprendront l’art de la musique, de la danse et de la guérison.

3. Un Centre indien pour la protection de l’Environnement permettra de former nos jeunes dans les domaines de la recherche scientifique et de la technique et de contribuer ainsi à ce que notre terre et l’eau retrouvent leur pureté naturelle. Nous nous efforcerons de dépolluer l’air et l’eau dans la zone de la baie. Nous tenterons de rétablir la vie marine et animale, ainsi que l’écologie de l’océan, mis en danger par le mode de vie de l’homme blanc. Des infrastructures de dessalement de l’eau de mer devront être mises en place pour une utilisation au profit de l’homme.

4. Un grand Service de formation indien apprendra à nos peuples comment vivre dans le monde actuel, comment améliorer notre niveau de vie et comment mettre un terme à la malnutrition et au chômage parmi nos peuples. Cette institution hébergera également un centre pour l’art et l’artisanat indiens, ainsi qu’un restaurant dans lequel sera proposée de la cuisine autochtone et où les Amérindiens pourront suivre des cours de cuisine. Ce centre permettra à l’opinion publique de faire connaissance avec l’art et la cuisine améridniens de toutes les nations, de façon à ce que tous puissent faire l’expérience de la beauté et de l’esprit de la tradition indienne.

5. Quelques bâtiments seront utilisés pour abriter un musée des Indiens où seront exposés notre cuisine et autres acquis culturels, dont nous avons fait profiter le monde. Une autre section du musée exposera quelques éléments que l’homme blanc a donné aux Indiens en échange des terres et des vies qu’il a ravies : alcool, pauvreté et ethnocide - symbolisé par de vieilles boîtes de conserve, du fil de fer barbelé, vieux pneus, emballages plastiques, etc... Une autre section du musée devra être conservée comme cachot, afin de rallumer le souvenir des prisonniers indiens qui s’étaient élevés contre l’hégémonie blanche et de ceux qui ont été maintenus enfermés dans des réserves. Le musée sera la vitrine des évènements nobles et tragiques de l’histoire indienne : entre autres, les traités brisés, les documents relatifs à la « Piste des Larmes », le massacre de Wounded Knee ainsi que la victoire sur Custer aux "cheveux jaunes" et son armée.

En vertu de toutes ces raisons, au nom de tous les Indiens, nous exigeons la rétrocession de cette île à la Nation Indienne. Nous pensons que cette revendication est juste et appropriée et que cette terre doit nous être laissée, tant que les fleuves couleront et que le soleil brillera.


Indiens de toutes les nations,
Novembre 1969, San Francisco, Californie.

Aphros - http://www.aphros.fr.st