+ Chroniques des Anciens

Pékatralatak

  • INTERVIEW issue d’APATRIDE n° 0 :

Quelles sont vos plus grosses déceptions depuis que vous avez commencé le groupe, et quels sont vos meilleurs souvenirs ?

Melvin : Les plus grosses déceptions, c’est d’abord nos échecs, nos insuffisances, nos concerts ratés ou tout ce qu’on arrive pas à faire, les disques qui mettent trop de temps à sortir, rencontrer une certaine animosité générale, qui fait qu’on est trop politisé pour le punk rock, et trop punk rock pour les circuits crust/punk politisé... Après, les meilleurs souvenirs c’est d’abord de voir le chemin parcouru depuis la première démo, à tous niveaux, et de voir que ce qu’on a déjà réussi à faire dépasse de loin tout ce qu’on pouvait imaginer pouvoir faire !

Txantxo : La déception s’est faite petit à petit en voyant les punx patauger dans les années 90 pour finir en grande partie récupérés par le systeme. De menace, le punk est passé à divertissement au même titre que Johnny H. Mes meilleurs souvenirs sont ceux qui me permettent d’avancer vers le futur, ce sont les contacts qui nous permettent d’avoir d’autres contacts, qui nous permettent de rencontrer d’autres gens. Ce ne sont pas vraiment des souvenirs, mais c’est ce qui me permet d’avancer et de comprendre les choses.

Pensez vous faire évoluer les choses par vos chansons et votre engagement ?

Melvin : Faire évoluer les choses ? C’est un peu vague comme idée... Après vu les retours qu’on a (courriers, concerts,...) j’ai l’impression que ce qu’on fait a marqué positivement ou negativement quelques dizaines de personnes, au début je dessinais ou j’écrivais surtout pour me faire plaisir, aujourd’hui je me rend compte qu’il y a pas mal de gens qui écoutent ou qui voient ce qu’on fait... c’est plus tout à fait pareil, on est un peu obligé de se justifier, notament dans pas mal d’interviews, donc c’est des preuves pour nous qu’on fait évoluer les choses avec le groupe... Après il s’agit de voir si c’est positif ou pas...

Txantxo : Notre but premier était de continuer dans le mouvement alternatif, se servir de l’expérience des gens qui ont oeuvré pour le mouvement alternatif. Je ne pense pas que sur la démarche du groupe nous cherchions à faire évoluer les choses mais plutot à consolider les bases des choses avancées par des groupes tels que Psychosquatt ou Pariapunk, et tous les groupe DIY des années 80. Ils ont montré qu’à leur époque c’était possible et nous, nous voulons montrer qu’aujourdhui non seulement c’est possible, mais surtout nécessaire. Pour que le punk redevienne une menace, il faut que les groupes réadoptent une attitude anticapitaliste et révolutionnaire. Si les punx ne le font pas, personne ne le fera à leur place.

A votre avis, pourquoi Pékatralatak a autant de détracteurs et soulève tant de polémiques ?

Melvin : C’est la suite directe de ce que je disais au dessus. C’est clair quand tu lis des zines c’est très souvent vachement consensuel, le punk rock est un divertissement, une sorte de courant plus ou moins à la mode suivant les styles, et pas grand monde a envie de se prendre la tête comme s’ils étaient dans une cellule de LO. Après nous on fait un groupe, et dans les deux EP on s’est exprimés pas uniquement musicalement mais aussi par l’intermediaire d’un zine plus politique que musical. Y’a plein de gens qui auraient préféré qu’on s’en tienne à la musique et comme ce qu’on a raconté jusqu’a maintenant est essentiellement "contre" (la viande, le commerce du punk, Rock Sound, les groupes apolitiques...) y’a beaucoup de gens qui se sentent visés et qui nous le font comprendre... C’est normal. Après, généralement dans les interviews qu’on a (depuis celle d’Askabiol) on nous pose toujours cette question. Pour tous ceux et toutes celles qui nous ont découvert par l’intermédiaire d’interviews on est un groupe intolérant qui agresse tout le monde. Les questions sont souvent axées là dessus ou sur notre solidarité affichée avec des groupes terroristes ou de guerilla (comme les FARC de colombie, le KLNKS de kanakie ou l’EZLN) donnent souvent des questions comme celle que tu nous pose juste après.

Txantxo : Y’a plein de gens qui n’arrivent pas à faire la différence entre provocation et premier degré. Après y’a certains points que nous soutenons (ETA, libération animale, vision anticapitaliste du punk...) et qui ne plaisent pas à tout le monde. Et franchement, moi je préfère qu’on ait des détracteurs car les polémiques permettent le débat. On nous a déjà dit qu’on était des "nazis-verts" ou des "fascistes de gauche", mais peu ont été capables d’avoir un discours contradictoire cohérent. On a des arguments, des opinions et on les donne ! Après y’a des gens qui ne sont pas d’accord à 100 pour 100 avec nous mais avec qui on travaille. On préfère avancer avec des gens motivés plutot qu’avec des gens qui dénigrent plus facilement qu’ils n’agissent.

Pensez vous qu’un combat pour une cause puisse justifier la mort de civils ?

Melvin : Les civils des pays occidentaux sont responsables de la situation dans laquelle leurs gouvernants dirigent le monde. Si les civils américains s’étaient opposés en masse contre la politique impérialiste que conduit leur gouvernement depuis 50 ans, des souffrances immenses auraient pu être évitées au proche orient et les avions qu’ils ramassent ne sont que l’extension du terrain de jeu, l’Irak est bombardé tous les jours depuis 10 ans, ca n’émeut pas grand monde en occident, pourtant le nombre de civils touchés est terrifiant ! Les civils quand ils délèguent leur pouvoir à des salauds sont responsables de ce que ceux ci vont faire. L’Allemagne était responsable lorsqu’elle a élu Hitler. Je ne dis pas l’ensemble du peuple, mais tous les civils qui ont participé ou qui ont laissé faire. Les civils américains soutiennent et ont soutenu leur gouvernement dans leur politique, pourquoi seraient ils plus "innocents" qu’un pauvre GI endoctriné qui ne sait même pas pour quelles raisons il se bat. Les tueries de 14-18 sont épouvantables, pourtant il s’agit de militaires. La mort est épouvantable mais quelques milliers d’américains ne m’impressionnent pas devant le génocide qu’ils perpétuent depuis 50 ans... c’est bien les représentants du peuple américain qui votent les bombes tous les ans... Pas très innocent tout ca... Donc je répond par une autre question, “Est-ce qu’une cause mérite des morts ?”

Txantxo : Penses-tu qu’il est normal que des gens soient torturés et emprisonnés pour leurs opinions politques ? Penses-tu qu’au nom d’un peuple élu on puisse éliminer des opposants avec des missiles ? Ce genre de question m’agace un peu car elle oublie le problème majeur : qui est l’agresseur et qui est l’agressé ? Qui est l’oppresseur et qui est l’opprimé ? Les médias, que l’on sait très objectifs, te montrent des images d’attentats avec son lot de corps mutilés, de personnes terrorisées en pleurs ; L’effet est immédiat, "ouh les méchants terroristes assoiffés du sang des innocents". Mais putain si des gens se mettent à tuer c’est qu’il y a une raison. On ne rentre pas dans la clandestinité comme on choisit de passer un mois au club med. En Palestine depuis 47, la répression est imposée par le pouvoir israélien et aujourd’hui ils parlent d’une "escalade de la violence" mais celle ci existe depuis plus de 50 ans ! Les kanaks ont-ils raison de ne pas se sentir Français ? La France a-t-elle eu raison lors du massacre d’Ouvéa en 88 ? On nous parle plus facilement des victimes des actions des peuples opprimés, plutot que de la violence des États. Fondamentalement, je ne suis pas pour la mort de civils, mais n’oublions pas ceux que l’on appelle terroristes ou résistants sont, avant tout, tous des civils.

Pourriez-vous nous faire un bref historique du groupe ? (je l’ai mise là pour casser la tradition des interviews dans l’ordre, et pour détendre l’atmosphère après une question qui prête à polémique)

Melvin : Le groupe existe depuis longtemps et a sorti 4 démos épuisées, 2 EP et quelques morceaux sur différentes compiles (Amnistia, Au pied du mur, Okara benefit CD...). On a fait à peu près 70 concerts et le groupe existe aujourd’hui sous sa troisième formation.

Txantxo : On a un batteur japonais SxE depuis 1995, aujourd’hui la formation c’est Bai-bai à la basse et aux choeurs, Melvin au chant et aux dessins et moi à la guitare et au chant.

Que pensez vous d’internet ?

Melvin : C’est à l’image du monde, c’est à dire un sacré foutoir, globalement controlé par le capitalisme. Cependant c’est techniquement un outil intéressant car il permet une circulation de l’info de manière très facile, pour avoir des infos sur la guerilla colombienne, sur les squats ou sur toutes sortes de groupes militants. Après ça représente une part infime, mais c’est grosso modo pareil que dans le monde "réel". Et je pense pas qu’on soit moins à l’abris de la surveillance qu’avec la poste ou le téléphone.

Txantxo : Personnellement je n’utilise pas internet, je n’ai même pas de téléphone portable. Je suis un vieux con qui croit encore qu’il n’y a pas mieux qu’une bibliothèque et une feuille et une stylo pour correspondre. Après un truc qui m’amuse c’est que cette merde est appelée la toile, comme celle d’une araignée. Or à quoi ca sert une toile pour une araignée ?

Pourquoi ne faites-vous que du vinyle alors que le coût de revient est supérieur à celui du CD ? Ne pensez-vous pas qu’amoindrir les frais vous permettrait de réinvestir dans d’autres actions ?

Melvin : Les disques que l’on fait c’est plutôt pour faire des jolies choses, pas pour de la propagande de masse. Les disques sont limités à 1000 exemplaires à cause du coût et ne sont ensuite pas réédités. Ils sont épuisés tous les deux et on se focalise maintenant sur les suivants. Mais peut être qu’à un moment on va se dire qu’on a peut être une carte à jouer et qu’on va vouloir passer par le CD pour pouvoir être plus entendu. On avait pas trop cette ambition mais qui sait ? Après le choix du vinyle c’est aussi contre le "tout CD", contre la marchandisation de la musique. Jusqu’a maintenant on a considéré nos disques comme des petits livres, j’aimerais bien les considerer comme des tracts et les distribuer pareil. De toute facon on a assez de projets vinyles intéressants pour l’instant pour pas avoir à trop se poser de questions aujourd’hui.

Txantxo : Lorsque Philips a revendu le brevet du CD à EMI, il l’a en fait revendu à une multinationale qui utilise les bénéfices de la musique pour investir dans des usines d’armements (notament celles qui produisent les missiles américains Pershing). Donc à chaque CD vendu, un certain pourcentage sert à faire la guerre. Manu Chao quand il donne 1 franc par CD à l’EZLN (très bien) en reverse beaucoup plus à leurs ennemis. Après on est pas sûrs que chaque vinyle gravé ne rapporte rien à des gros cons (industrie du pétrole...). C’est clair que le CD coûterait moins cher et comme on a pas de thunes ce serait plus simple... mais de toute facon le vinyle c’est plus joli.

Si mes souvenirs sont bons, et si ce qu’on m’a raconté est vrai, il y a quelques temps, vous aviez comme projet de sortir un 33 tours, ca en est où ?

Melvin : Tu vois, nos projets t’en parle sous forme de "souvenirs" c’est qu’on est vraiment lents ! Le problème c’est que des déménagements à répétition et une situation financière très précaire font qu’on galère pas mal pour produire, mais ça n’est que passager et on devrait s’y remettre très sérieusement dans les mois qui arrivent.

Txantxo : En fait on a 2 projets qu’on espère voir aboutir d’ici quelques temps, mais on a déjà tellement annoncé de dates qu’aujourd’hui on préfère ne plus en donner. Ca viendra.

Avez-vous un mot de la fin ? (et hop, on retourne dans la tradition des interviews classiques).

Melvin : Un mot de la fin... Ce n’est qu’un début, continuons le combat !

Txantxo : Merci à toi Rémi pour tes questions... Bonne continuation à Apatride. Anarchie et Révolution !

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